Depuis New York, où j'enseigne dans une université orientée vers l'emploi, je suis au cœur d'une ville qui attire chaque année des milliers de migrants venus du monde entier. Ce contexte me permet d’observer de près les dynamiques globales de la mobilité et d’envisager des solutions pertinentes pour le Cameroun en matière de gestion des compétences et des talents.
Nous avons tous, peut-être un signe des temps, cette mentalité de lanceur d’alerte, qui excelle dans la dénonciation mais pèche dans le diagnostic. Le 18 septembre dernier, Monsieur Célestin Tawamba, a donc pu suggérer dans son discours de rentrée une concertation avec les pouvoirs publics pour comprendre et atténuer les effets de la fuite des compétences. On s’étonne d’une part que de telles concertations n’aient pas lieu sur une base permanente. D’autre part, avant d’en arriver à ce grand dialogue il faudrait savoir ses propositions. La concertation ne peut pas viser comme il dit à explorer les causes sous-jacentes". Nous avons des universités et des cabinets qui étudient ces phénomènes, le GECAM a même souvent invite de grands économistes de la diaspora… Ses propositions, celles qu’il a formulées dans son discours, sont restées vagues dans son discours que j’ai quand même lu trois fois. Il ne propose pas de mesures concrètes pour répondre aux problématiques soulevées qui ne sont pas spécifiques au Cameroun ni à l’Afrique. Si par exemple l’on voudrait davantage retenir les talents locaux, il faut mettre sur pied une politique salariale plus agressive, promouvoir un programme de développement des compétences qui assure aux talents une mobilité verticale, un plan de carrière clair.
Ce que je reproche donc au diagnostic du patron du GECAM, c’est de pointer la focale sur l’endiguement de cette mobilité, sans en amont définir une stratégie proactive pour attirer les talents de notre diaspora ou créer des conditions favorables à leur retour. Son analyse ne prend pas en compte la possibilité de se saisir du retour potentiel des expatriés camerounais. Qui a peur des expatries et pourquoi ? Plus d’expatriés c’est plus d’opportunités d'investissement, davantage d’opportunités d’exportation de certains biens et services, des partenariats possibles, on voudrait entendre le GECAM sur ces possibilités nouvelles.
Une autre observation qui me vient à l’instant est le caractère élitiste et, pardon, un peu nombriliste de son indignation, Monsieur Tawamba regrette le depart en masse des travailleurs qualifiés, mais il n’aborde pas l’impact de la « fuite » des « bozayeurs », nos débrouillards sur le dynamisme de notre marché. Il ignore donc une partie importante du marché du travail qui, malgré son caractère informel, est aussi impactée par les dynamiques migratoires. Le patron des patrons semble donc dans une posture élitiste, nombriliste, et attentiste. Le président Tawamba lorsqu’il dit que les entreprises camerounaises sont pénalisées par des réformes publiques inadéquates, il se place dans une posture de quémandeur vis-à-vis des pouvoirs publics.
Pour ne pas tomber dans le piège du commentaire et s’enfermer dans les mots, on peut imiter. Une analyse comparative basique permet de voir que ce problème est aussi une opportunité et que d’autres pays, y compris le Nigeria tout près de nous, ont su en tirer profit.
1- Programme de retour des talents (diaspora inversée)
Un précédent ? Le Rwanda. Le Rwanda a mis en place le programme « Rwanda Diaspora Global Network », qui a permis de faire revenir des milliers de Rwandais formés à l’étranger pour contribuer à la reconstruction nationale après le génocide de 1994. Au Cameroun, il s'agirait de créer un programme similaire, offrant des incitations douanières et fiscales et financières pour encourager le « retour ». Je n’aime pas ce mot, disons plutôt le recrutement des talents. Ces incitations pourraient être liées à la création d'entreprises ou au développement de secteurs stratégiques comme les TIC et les énergies renouvelables.
2- Créer des passerelles professionnelles avec les Camerounais à l’étranger
L'Inde est un exemple qui aurait pu être dramatique. L’Inde a créé des réseaux tels que l'« Indo-US Science and Technology Forum » qui connecte les professionnels indiens expatriés avec les institutions locales. On pourrait favoriser le transfert de compétences via des collaborations à distance dans la recherche et l’Université et dans des secteurs comme la médecine, les sciences et les technologies. A quoi servent les budgets de la coopération dans nos universités ? sont-ils suffisants au regard des enjeux ? On veut davantage de partenariats public-privé.
3- Valoriser l’image et les investissements des expatries
L’idée ne vient pas de nulle part. L’Éthiopie a mis en place des programmes incitatifs pour encourager les investissements avec des « diaspora bonds ».
4- Développer un cadre de formation continue et de certification
La Tunisie, à travers son programme « Tunisia Digital 2020 », a développé des formations en ligne et des certifications reconnues internationalement, permettant aux jeunes de s’intégrer dans des marchés mondiaux tout en maintenant un lien avec l’économie locale.
5- Promouvoir l’entrepreneuriat chez les jeunes Camerounais à l’étranger
Le Nigeria a mis en place la « Nigerian Youth Investment Fund » pour encourager l’entrepreneuriat parmi les candidats au departs et ceux qui etaeint déjà partis. Ces initiatives se concentreraient dans les cas du Camroun dans des secteurs comme l'agro-industrie, les start-ups et les nouveaux métiers de l’IA, secteurs où l’innovation paie.
6- Faciliter les collaborations entre Patronat local et Patronat international
Les Philippines ont encouragé des partenariats entre entreprises locales et la diaspora via le programme « Balik Scientist Program », qui permet aux scientifiques philippins de revenir temporairement pour collaborer avec des institutions locales.
7- Créer des politiques d'engagement de la diaspora dans le développement national
La Chine, via son programme « Thousand Talents Plan », a attiré de nombreux experts chinois de la diaspora pour contribuer à la recherche et au développement du pays.
Gémir, pleurer, crier, prier sur le droit au départ des Camerounais est également lâche…
Eric Essono Tsimi
The City University of New York
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