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La diplomatie française doit faire son aggiornamento ... pour ne pas perdre l’Afrique . ( Dr Paul KANANURA )


« Françafrique », une connotation péjorative , dédiée à la relation qualifiée de néo-coloniale par ses détracteurs, entre la France et d'anciennes colonies en Afrique subsaharienne sur les plans économiques, monétaires, diplomatiques ou militaires . En ce 14 juillet 2024 , jour de célébration de la fête nationale de la France placée cette année sous la double thématique " l’olympisme et les armées" d’une part et "les 80 ans de la libération de la France" d’autre part , le Dr Paul KANANURA ,expert rwandais en gouvernance et géopolitique , a passé en revue l’État des lieux de cette relation tant décriée sur le continent et en pleine mutation eu égard à un élan de fronde avec en tête de peloton le courageux trio militaire de l'alliance des Etats du Sahel (Niger -Mali-Burkina Faso) et la percée sans complaisance des puissances rivales résolues à s'arroger des parts considérables du ce qui constituait jadis le pré-carré français.


Quelle analyse faites-vous de l’état actuel des relations entre l’Afrique et la France ? 

Paul KANANURA : Il faut d’emblée préciser qu’il n’y a pas de sentiment anti-français en Afrique. Il y a plutôt un rejet de la politique française sournoise. La relation entre la France et l’Afrique est en mutation délicate avec le téléchargement de nouveaux logiciels diplomatiques d’adaptation au monde multipolaire car les attitudes arrogantes, méprisantes, affairistes et paternalistes sont de moins en mois acceptables. Le traditionnel défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées accueille cette année des officiers de 28 pays africains. Même si leurs conditions d’accueil restent à améliorer, ces jeunes et vieux officiers sont fiers de cet honneur et seront certainement des ambassadeurs efficaces. La France continue d’assumer son rôle de rédaction et de proposition des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernant les pays africains. C’est une voix singulière. La divergence diplomatique, de vision et d’intérêt entre la France et les trois pays de l’AES semble écorner sérieusement l’influence hexagonale en Afrique dans un contexte de convoitise féroce du continent par des puissances traditionnelles et émergentes à travers des outils de présence militaire, économique, culturelle et cultuelle.


L’état actuel des relations entre l’Afrique et la France est tumultueux. Les procès de biens mal-acquis sans fondement philosophique ni juridique, les doubles standards diplomatiques, le non-respect d’immunité diplomatique, les promesses non-tenues et l’esprit colonialiste finissent par agacer les dirigeants africains qui y trouvent l’opportunité de changer de partenaires en jouant de la concurrence dans ce monde de compétition géostratégique. Cette politique affaiblit l’influence française au profit de la montée en puissance des pays émergents qui proposent des alternatives alléchantes et crédibles. La journaliste d’investigation, Leslie Varenne vient de publier un livre dans lequel elle retrace l’itinéraire et les décisions prises par le Président Macron qui ont affaibli la voix de la France en Afrique. L’attitude méprisante de certains diplomates et officiels français n’est pas aussi en phase avec l’agressivité tactique de nouveaux compétiteurs diplomatiques hors normes. Cela ne joue pas en faveur de l’influence française sur le continent et il faudra trouver des outils d’une relation saine et apaisée avec une vision stratégique claire. La diplomatie française doit faire son aggiornamento et se reconfigurer avec un nouvel esprit de compétition stratégique pour ne pas perdre l’Afrique.

Les diplomates à Paris se plaignent de ne pas recevoir de réponse de demande de rendez-vous avec des collègues ou des officiels français. Comment voulez-vous construire une relation dynamique et renouvelée avec les gens que vous ignorez superbement ? La courtoisie et la réception sont des bases élémentaires de bonnes intentions et de connaissance mutuelle pour envisager des perspectives communes. L'absence d'interlocuteurs créée un vide tout de suite comblé par des autres plus réactifs et attentifs. Quand vous respectez les partenaires, ils vous renvoient l'ascenseur. Par exemple, l'Espagne a cette attitude de réactivité à tous les niveaux et les Africains souhaitent travailler très étroitement avec les Espagnols. Il est temps que les Français comprennent que le travail en petits réseaux de connaissance ou d'obédience ne suffit plus pour maintenir une relation bilatérale solide.

 

Malgré quelques crispations observées avec certains pays Africains, la France semble préserver une approche bienveillante vis-à-vis du continent. En témoigne le récent forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinale tenu à Paris le 20 juin 2024 sous l’égide du président Emmanuel Macron, acteur principal du plaidoyer pour un allègement de la dette des pays africains et de leur accès aux vaccins durant la pandémie de COVID19. L’Afrique peut-elle s’émanciper sur la scène internationale sans l’appui stratégique de la France ?

Paul KANANURA : Il est illusoire de penser qu’un acteur extérieur peut aider le continent africain à se libérer des chaînes de la soumission. Il n’a aucun intérêt à le faire. Les initiatives françaises en matière d'allègement des dettes, déjà largement remboursées sous forme de paiement des intérêts, et d’accès aux vaccins sont salutaires. Mais il est temps que l’Afrique s’assume stratégiquement et que les pays africains adoptent un style de management stratégique des nations qui les met à l’abri des pitiés et plaidoyers infantilisants. En 1963, le Cameroun a accordé une aide alimentaire à la Corée du Sud.  En 2024, la Corée du Sud vient d’organiser son premier Sommet Afrique pour aider le continent entier des 54 États à se développer. Quelle belle leçon de résilience du peuple, de vision des dirigeants et de management stratégique de la nation sud-coréenne ! L’émancipation collective de l’Afrique sans aucun appui extérieur est le seul chemin de son développement vivable et de sa quête de respectabilité dans le monde.

 

Centre d’intérêt majeur des relations France-Afrique : le Franc CFA. Concernant cette tutelle monétaire quelle voie vous semble plus appropriée ? Une refondation ou une rupture définitive ? Les pays africains notamment ,les 14 de la zone franc , vous semblent-ils prêts à assumer leur autonomie monétaire ?

Paul KANANURA : Avec les initiatives monétaires telles que l’Eco de la CEDEAO et l’Eco de l’UEMOA, l’orientation stratégique de l’AES de créer une union monétaire et une monnaie commune pour remplacer le Franc CFA ravive le débat. La continuation n’est plus possible et le statuquo doit être mis à jour, car les pays de l’AES n’en veulent pas et le peuple sénégalais a choisi la rupture. Les pays des zones CFA ne peuvent plus faire l’économie de battre la monnaie, pour retrouver la souveraineté monétaire en tant qu’outil au service de la politique économique optimale afin de déterminer les taux d’intérêt, de contrôler l’inflation, de résoudre les problèmes du chômage, de stabilité et de consommation. Il s’agit de définir une politique monétaire avec des objectifs obligatoires de stabilité, de plein emploi et de contrôle des déficits extérieurs et publics. Il n’y a pas d’économie sans monnaie et il n’y a pas d’économie forte ou prospère sans une souveraineté monétaire totale. Toutes les études sérieuses montrent que le FCFA n’est pas bon pour développer un environnement favorable à l’entrepreneuriat et créer d’emplois décents.

L’avenir du Franc CFA est incertain et sa sortie est inévitable à long terme, car les pays de l’AES et les nouvelles autorités du Sénégal n’en veulent pas (4 sur 7 pays utilisant le franc CFA en Afrique de l’Ouest) d’une part, et d’autre part, la France n’est plus dans la gouvernance du Franc CFA et n’a plus de réserves pour garantir cette monnaie. Et d’ailleurs , Stéphane Séjourné, le Chef de la diplomatie française, interrogé le 8 avril 2024 sur RFI et France 24, a fait comprendre que « ce n’est pas à la France d’avoir un avis sur l’avenir du franc CFA et c’est aux Etats africains de décider ». Si à cela s’ajoute l’incompétence monétaire et macro-économique de la BCEAO et de la BEAC, c’est donc l’occasion de saisir la balle au bond afin d’en finir avec le FCFA pour sortir de la posture de servitude volontaire.

La maîtrise de la politique monétaire doit revenir au peuple souverain. Donc l’évolution du pacte monétaire est inévitable, car elle est exigée à la fois par les aspirations légitimes des populations concernées par le FCFA et la concurrence géopolitique très complexe des puissances sur l’Afrique. Il faudra nécessairement trouver des mécanismes appropriés de rupture progressive sur une période courte (5ans). A défaut, une rupture brutale s’imposera à tous les acteurs, surtout qu’une grande partie des populations africaines ne veut pas du FCFA.

Les pays des zones FCFA ont des dirigeants qui disposent d’une excellente vision des systèmes économiques capables d’assumer une autonomie monétaire avec un mode de gouvernance des finances publiques mieux adaptés aux réalités des pays. Il faudra qu’ils choisissent l’option d’une gouvernance stratégique et souveraine plus responsable et plus efficace qui repose sur des intérêts vitaux, des éléments de rapport commercial favorable et des partenariats de transformation des matières premières sur place pour stimuler la croissance et l’emploi.



En guise de contournement de la tutelle française, certains pays africains optent pour une coopération de plus en plus affirmée  avec d’autres alliés jugés moins interventionnistes en matière de politique intérieure (Chine / Russie …). Une option salutaire selon vous ?

Paul KANANURA : C’est une option normale car chaque pays a le droit de défendre ses intérêts et de choisir ses partenaires stratégiques. L’Afrique a besoin d’une coopération respectueuse de sa souveraineté et qui répond à la politique de diversification de partenariat. Les conditionnalités des partenariats, sous forme subtile d’ingérence, soulèvent des incompréhensions. Il est temps que les pays africains quittent la diplomatie de mendicité pour impulser une nouvelle dynamique diplomatique qui privilégie des intérêts nationaux et géostratégiques. Cette vision exclue la mentalité d'esclave de quitter un maître pour se mettre sous la protection d’un nouveau maître. Le nouvel ordre mondial pousse les pays vers les coopérations et partenariats d’égal à égal, mutuellement bénéfiques et productifs d’impact visible auprès des bénéficiaires. Les partenaires traditionnels de l’Afrique doivent comprendre que le destin et le choix des peuples sont très importants dans la manière de coopérer, de faire des partenariats et de privilégier le développement inclusif des pays au détriment de l’enrichissement des élites.

C’est au pays africains d’exiger des coopérations utiles, qui les font quitter l’économie de cueillette des matières premières pour encourager des politiques de leurs transformations pour bénéficier d’une valeur ajoutée. La coopération de dépendance (Aide Publique au Développement) n’a pas produit le développement de l’Afrique. Il faut oser d’une coopération économique bilatérale ou multilatérale qui peut ouvrir des opportunités d’industrialisation et de sécurité alimentaire pour créer des richesses sur place. Les partenariats doivent libérer des énergies d’indépendance stratégique. Il est nécessaire d’imposer la culture du respect de nos choix à nos partenaires. Cela exige d’être crédible et de refuser des projets qui n’ont pas d’impact sur le développement global du pays. Aujourd’hui, les peuples africains regardent la confédération de l’AES avec une admiration d’une union sacrée qui va éloigner les démons de fragilisation, de faiblesse et de déstabilisation du continent.

Les données des ressources naturelles participent de la prise de décision des coopérations économiques et politiques. Aucune ne dit la vérité sur les potentialités du sous-sol. Le secteur minier n’a jamais été un domaine transparent et de souveraineté nationale. Nous sommes le seul continent, où le hasard des étrangers nous révèle nos richesses et on exploite ce que l’on veut bien que nous exploitions. L’exploration minière a été limitée à sa plus simple expression sans expertise nationale. La souveraineté d’un pays ne s’accommode pas du fait qu’une entreprise étrangère possède 60% des parts sur une de ses ressources naturelles. Il n’y a que les Africains pour l’accepter. Le pillage et la spoliation des autres pour s’enrichir ne sont plus tolérés. Il ne faut surtout pas commettre une autre erreur stratégique de remplacer des « prédateurs hard » par d’autres « prédateurs soft ».

Les partenariats valorisant les opportunités et les potentiels de ressources du continent sont les bienvenues. Le choix est ouvert pour chaque partenaire : privilégier des intérêts égoïstes ou embraser une nouvelle ère de coopération mutuellement bénéfique avec l’Afrique. Le combat pour la consolidation des capacités économiques fondamentales ne fait que commencer. La roue de l’histoire tourne…et les partenaires traditionnels doivent tourner avec pour satisfaire des revendications d’une jeunesse éveillée et connectée, et d’une nouvelle élite politique en quête d’indépendance et de responsabilité.


Dr Paul KANANURA est Président de l'Institut AFRIKA & Expert International Senior en Politiques publiques, Gouvernance, Géopolitique et Sécurité stratégique.

Interview réalisée par Serge SEPPOH

 

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