Dans le cadre de la tournée du président français Emmanuel MACRON en terre africaine et débutée au Cameroun le lundi 25 juillet , Ecobusiness accorde une tribune à l'intelligentsia africaine pour une réflexion sur l'Etat de la coopération Afrique-France. Regard de l'ingénieur financier Camerounais Eric ELOUNDOU NGAH ( Dg Cabinet Elesyst / Administrateur indépendant BCPME /Enseignant à l'université catholique d'Afrique centrale / Chercheur en sciences économiques à l'université de Yaoundé 2 Soa)
Au sein de l’opinion, la coopération France-Cameroun, comme avec les autres Etats des zones CEMAC et CEDEAO, est surtout mal perçue sur le volet monétaire, avec des signes persistants du désir d’émancipation vis-à-vis de la France. Selon-vous la France est-elle prête à lâcher du lest sur la question du FCFA ? Et les pays africains véritablement prêts à s’auto-administrer en matière monétaire ?
La France a déjà ouvert une brèche pour la sortie du FCFA en signant une nouvelle convention avec les pays de l’UEMOA le 21 décembre 2019. Celle-ci est complétée par une convention de garantie, texte technique d’application, conclue avec la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Avec cette réforme, le positionnement de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la Zone. Le régime de change demeure toutefois inchangé, avec un maintien de la parité fixe entre l’euro et la monnaie commune de l’Union ainsi que de la garantie de convertibilité assurée par la France.
Toutefois, une analyse stratégique de cette réforme permet de constater des zones d’ombre et de justifier la persistance du désir d’émancipation vis-à-vis de la France. Cela permet également de projeter la stratégie monétaire des pays africains à un niveau plus élevé.
Pour situer les enjeux de ce sujet au niveau du continent africain, il semble important de rappeler que dès sa création, en 1963, à Addis Abeba en Ethiopie, l’Union africaine (UA), alors l'Organisation de l'unité africaine (OUA), inscrivit l’objectif d’intégration monétaire dans son acte constitutif, et que dans cette perspective, le renouvellement des accords de coopération monétaire avec la France impacterait directement 21 des 55 pays membres de l’UA.
Ces 21 pays sont réunis au sein de 3 grandes zones monétaires et 2 communautés économiques. La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975, compte deux zones monétaires en son sein. Il y a d’abord l’UMOA, créée en 1994, qui a le franc CFA en partage et regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Guinée-Bissau.
Tandis que, depuis 2000, la Zone Monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) regroupe six pays et autant de monnaies : le cédi au Ghana, le dalasi en Gambie, le dollar libérien au Liberia, le franc guinéen en Guinée, le leone en Sierra Leone et le naira au Nigeria. Avec son escudo, l’archipel du Cap-Vert est le seul pays de la CEDEAO à n’appartenir à aucune de ces deux grandes zones monétaires.
Enfin, la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), créée en 1994, compte une zone monétaire unique, l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC), qui regroupe 6 pays membres que sont le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad.
Dans la dynamique de l’intégration économique et monétaire, les 15 pays de la CEDEAO ont adopté le mécanisme de surveillance multilatérale des politiques économiques et financières des Etats membres, avec pour objectif : le respect d’un ensemble de critères de convergence macroéconomiques, susceptibles de contribuer à homogénéiser les économies de la région et l’adoption d’une monnaie unique, baptisé l’ECO. Après trois reports successifs, en 2003, 2005 et 2009, les autorités ouest-africaines renoncent finalement, en juillet 2014, à lancer l’ECO en janvier 2015 au sein de la ZMAO, en raison du niveau insuffisant de préparation et de convergence économique au sein de la zone.
Dès lors, la CEDEAO adopte une stratégie d’intégration graduelle avec un calendrier prévoyant l’introduction de la monnaie unique en 2020. Toutefois, seuls les pays qui respecteront les critères de convergence dits de premier rang avant 2020 (déficit budgétaire limité à 3% du PIB, une inflation à 10% maximum et une dette inférieure à 70% du PIB), participeront à la monnaie unique.
La nouvelle convention de coopération entre la France et les pays de l’UEMOA est donc venue briser une énième fois la dynamique d’intégration monétaire des pays de la CEDEAO, et éloigne davantage les perspectives d’intégration monétaire au niveau continental. Il n’est pas surprenant que certains leaders d’opinion et les populations africaines en majorité voient en cela une tentative de la France et ses partenaires occidentaux d’empêcher la construction et l’indépendance monétaires des pays africains, afin de ralentir leur développement économique et social.
Les Autorités de l’UMAC et le Président Paul BIYA ont donc une lourde responsabilité par rapport à la décision à prendre concernant la coopération monétaire avec la France. Il va être difficile, voire impossible, d’atteindre les objectifs de transformation structurelle et d’intégration régionale à travers notamment la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAF), sans un contrôle absolu de tous les leviers de politique monétaire. Les pays africains peuvent se prévaloir de leurs capacités institutionnelles et des compétences éprouvées de leurs hauts cadres et managers dans les domaines économiques et financiers, pour arracher une fois pour toutes leur souveraineté monétaire.
Les intérêts français, au Cameroun comme en Afrique, sont fortement menacés par des puissances rivales telles que la Chine et la Russie. La France est-elle en capacité de tenir face à cette rude concurrence ?
La France pâtit de l’inefficacité de sa politique de coopération économique et monétaire en Afrique. Les Autorités françaises ne parviennent pas à capitaliser les avantages et atouts comparatifs tels que la langue française, la mixité sociale entre les communautés africaines et françaises, la proximité géographique, etc. Elles ne peuvent par conséquent s’en prendre qu’à elles-mêmes, car elles savent mieux que quiconque que les enjeux ne se situent plus désormais au niveau des seuls dirigeants africains et qu’il faut désormais compter avec les populations, plus nombreuses et plus cultivées.
Les puissances rivales, comme vous les appelez, ont adopté des politiques de coopération orientées vers la transformation structurelle des économies africaines et investissent dans des secteurs à fort impact social : transport, santé, énergie, éducation, sécurité, TIC, etc. Ce qui explique leur montée en puissance dans les marchés africains et le capital de sympathie que leur témoignent les populations.
La France a encore suffisamment de marge de manœuvre pour préserver sa position privilégiée en matière de coopération économique avec les pays africains. Mais elle a besoin pour cela de construire de nouveaux courants de pensée et de considérer le reste du monde tel qu’il est aujourd’hui, avec les forces et faiblesses des différents pays, les atouts et les menaces imposés par la confrontation des intérêts divergents des parties prenantes. La poussée démographique que connait l’Afrique laisse peu de place aux politiques politiciennes et appelle des solutions concrètes et des réalisations à impact visible et mesurable sur les plans économique, social et financier…
Interview menée par Serge SEPPOH
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