Dans le cadre de la tournée du président français Emmanuel MACRON en terre africaine et débutée au Cameroun le lundi 25 juillet , Ecobusiness accorde une tribune à l'intelligentsia africaine pour une réflexion sur l'Etat de la coopération Afrique-France. Regard de l'économiste Camerounais Dr Louis Marie KAKDEU , Economiste et enseignant à l'université de Maroua .
En 2021, l’Ambassadeur de France affirmait que « La part de marché des entreprises françaises au Cameroun est passée de 40% dans les années 1990 à 10% aujourd'hui ». En clair, au cours des 30 dernières années, les entreprises françaises ont perdu au total 30% de parts de marché au Cameroun. Qu’est ce qui selon vous justifie cette tendance ? Un regain de vitalité des entreprises françaises est-elle envisageable avec l’arrivée du Président MACRON ?
Les intérêts français ne sont plus importants au Cameroun comme certains veulent le faire croire. La France a perdu le Cameroun sur le plan économique. Depuis 2010, la France n’est plus le premier partenaire commercial du Cameroun. De nos jours, c’est la Chine. Et cette dégringolade est continue. Bolloré est en train de partir. Castel perd des parts de marché et tente de résister avec l’achat de Guinness SA. Les exportations françaises vers le Cameroun tournent autour de 341 milliards FCFA par an seulement. Cela se fait à travers environ 300 entreprises et filiales qui opèrent dans les domaines de l’exploitation pétrolière, l’agro-industrie et le bois, le BTP, la banque, les assurances, les services de transport et de logistique ou encore la distribution. Vous voyez que la France n’est pas vraiment présente dans l’exploitation minière que tout le monde prise. On voit venir en grande pompe le groupe Carrefour et autres distributeurs français. Le problème est que la distribution est le segment de l’économie où l’on crée le moins de richesse. Le Cameroun ne profite donc pas vraiment de la présence française. Il faut compter pour environ 147 milliards de FCFA la somme des exportations camerounaises vers la France en 2019. C’est moins de la moitié de ce que gagne la France sur le Cameroun. Et sur le plan fiscal alors ? Les entreprises françaises disposent des dettes fiscales ou se font annuler leur dette par la Présidence de la République. Dans la loi des finances 2022, 7 ans d’exonération ont été données à la banane française et 3 ans de gel de leurs dettes. Ce n’est donc pas très profitable au Cameroun. Pire, le stock des investissements directs étrangers (IDE) français au Cameroun avait baissé de 23 % en 2019. Et il est continuellement en baisse. Ceci veut dire que même si la présence française est toujours réelle, les intérêts économiques ont considérablement baissé et la somme de ses exportations au Cameroun ne représente rien dans l’économie française (environ 500 millions d’euros seulement). Ce n’est donc pas pour des raisons économiques que la France s’accroche au Cameroun. C’est pour un enjeu de puissance. C’est pour garder l’hégémonie. C’est une question politique. Il se pourrait que le ratio économique de la France soit même déficitaire sur le Cameroun si l’on tient compte des financements de la coopération civile. Mais, elle dépense autant et tient le Cameroun (et ses anciens colonies) pour demeurer une grande puissance à l’échiquier international.
Au sein de l’opinion la coopération France-Cameroun, comme avec les autres Etats des zones CEMAC et CEDEAO, est surtout mal perçue sur le volet monétaire, avec des signes persistants du désir d’émancipation vis-à-vis de la France. Selon-vous la France est-elle prête à lâcher du lest sur la question du FCFA ? Et les pays africains véritablement prêts à s’auto-administrer en matière monétaire ?
Le FCFA ne rapporte rien à la France contrairement à ce que l’on veut faire croire. Le fameux compte des opérations est un mythe. De source diplomatique, je ne suis pas sûr que le Cameroun dispose de FCFA 10 milliards dans son compte d’exploitation à la Banque de France. Le problème est davantage l’opacité qui entoure cette affaire. C’est avec le FCFA que la France tient nos pays de nos jours. Et donc, si elle lâche du lest comme vous le dites, alors elle perd de son influence et donc, sa capacité de se dire aussi « grande puissance ». Entre nous, en dehors de l’Afrique, où la France peut-elle encore exercer son influence ? Et les Camerounais dans tout ça ? Le seul intérêt économique majeur serait de se rassurer que le Cameroun n’est pas encore contaminé par le vent de liberté monétaire qui vient de la RCA. Et c’est davantage une question politique à ce niveau. Sauf que ce n’est pas avec un « Président partant » que cette discussion devra se faire. Le Président français, à défaut de discuter avec l’opposition radicale, aura certainement l’occasion de discuter avec les potentiels dauphins au sein du système. Il sera attendu de ces derniers de jouer un rôle à la Ouattara, en vue de perpétuer le système françafricain en Afrique centrale.
Merci pour ces